Res per nomen 5 : Négation et référence

Appel à communication

 

Les colloques Res per nomen sont traditionnellement consacrés à la question de la référence en langue, abordée du point de vue de la philosophie et de la linguistique. Après un premier bilan de la question, en 2007, la référence a été abordée du point de vue de l'anthropologie, en 2009, du point de vue de la conscience et du sujet énonciateur, en 2011, et sous l'angle, en 2013, de la dénomination, c'est-à-dire de la relation entre sens et monde extralinguistique, qui a permis à Georges Kleiber de prôner , depuis les années 1980, une sémantique référentielle.

Cette cinquième édition de Res per nomen est consacrée à la négation, une notion qui pourrait surprendre dans le cadre de la référence. En effet, comment articuler les deux notions? La négation nie-t-elle ce que les faits de langue référentiels présupposent comme existant ?

Dans le domaine de la philosophie, et tout au long de son histoire, la négation a joué et joue encore un rôle fondamental. Un balayage historique permet de le vérifier aisément : les premières recherches concernant les concepts négatifs étaient étroitement associées au statut du non-être en métaphysique et en ontologie et dès l'œuvre de Platon est présente l'idée que la négation peut être définie positivement en termes de différence ou d'opposition. Avec Aristote, l'attention portée à la négation s'est déplacée vers le terrain du langage et de la logique. La négation constitue l'un des éléments en jeu dans le carré des oppositions et joue un rôle fondamental dans l'opposition entre les notions de contraire et contradictoire.

Par ailleurs, la question de l'asymétrie entre affirmation et négation a opposé les philosophes de périodes très diverses. Si pour certains (Kant, Hegel, Bergson, Strawson, parmi d'autres) les énoncés (ou jugements) négatifs sont moins primitifs, moins informatifs, moins valables somme toute que leurs contreparties affirmatives, pour d'autres auteurs (par exemple Frege, Ayer, Geach, Quine, Austin) cette opposition n'a pas lieu d'être. Pour les partisans de l'asymétrie, la négation constitue une affirmation de second ordre, au sens où les énoncés négatifs renvoient à des énoncés affirmatifs, alors que les énoncés affirmatifs concernent la réalité.

Mais la négation intervient également dans de nombreux autres questionnements philosophiques: pendant l'Antiquité, les philosophes se sont avisés que l'on ne peut parler du principe sinon par négations. Le néo-platonisme a développé cette philosophie de la négation: Plotin, Proclos, Damascius. Au Moyen Age, en occident sous l'influence de Denys l'Aréopagite, la théologie négative va se développer avec Jean Scot Erigène et Maître Eckhart notamment. Et si l'on considère des époques moins éloignées, Wittgenstein a, pour sa part, mis l'accent sur les limites du langage, outil ne permettant pas à l'homme d'exprimer certains contenus ; Hegel a bâti le mouvement dialectique sur le caractère négatif de la raison… Il nous semble légitime de dire que la négation est partout...ou plutôt que rien n'échappe à la négation.

Du côté des linguistes, les nombreux travaux consacrés au domaine de la négation ont tenté de répondre à des interrogations relevant aussi bien de la morphosyntaxe que de la lexicologie, la sémantique ou la pragmatique. Comment construit-on un énoncé négatif ? Comment peut-on déterminer la référence de mots négatifs tels que aucun, jamais, rien ? Sur quel(s) élément(s) de la phrase porte la négation ? Quel est le rôle de la négation dite explétive ? Combien de types de négation existe-t-il ? Comment les identifier ? Est-ce que la polarité négative est un phénomène syntaxique ou sémantique ? Comment opère la règle de montée de la négation (neg-raising) ? De quelle manière se sert-on de la négation comme stratégie discursive ? Est-ce que le point de vue affirmatif auquel s'oppose le locuteur d'un énoncé négatif est systématiquement présent et si oui, à quel niveau ? Bien entendu, cette liste est loin d'être exhaustive et son seul objectif est de rappeler un certain nombre de questions-clés.

Même en se limitant aux études contemporaines - nous pensons notamment aux travaux de C. Muller, D. Gaatone, O. Ducrot, J. Moeschler, M. Arrivé, P. Attal, J.-C. Anscombre, B. Callebaut ou R. Martin pour le français, à ceux d'O. Jespersen, T. Givón, C.L. Baker, J. Hoeksema ou L. Horn pour l'anglais ou aux travaux d'I. Bosque, F. Hernández Paricio ou C. Sánchez López sur l'espagnol et à ceux de J.-M. Zemb pour l'allemand? le travail accompli, ainsi que les pistes à explorer témoignent de la richesse du domaine auquel nous consacrerons notre prochain colloque et de l'intérêt que certains aspects de la négation peuvent encore susciter, particulièrement son rapport (possible ? Impossible?) avec la référence.

Si nous avons surtout évoqué jusqu'ici l'importance de la négation en linguistique et en philosophie, nous rappelons également le rôle qu'ont joué en psychologie et en psychanalyse les notions de refus, d'interdit, d'étape du non… Ce volet viendra sans doute enrichir nos réflexions.

Les études linguistiques devront porter sur le français ou sur une comparaison entre le français et une (d') autre(s) langue(s), quelle que soit la langue choisie pour communiquer